Claude Montréal dit Piseau, originaire de Peillonnex, épouse une contaminoise, Jeanne-Claudine Dupraz en 1708. Les pères Barnabites lui amodient un moulin au hameau de La Perrine. Cinq enfants naissent de cette union : Aimé, François, Marie, Joseph et Claudine. Il décède en 1730, à l'âge de 45 ans.
L'un de ses fils, Joseph né en 1718, se marie en 1755 avec Françoise Comte, de La Côte d'Hyot. Leur fils, François-Nicolas naît la même année ; le deuxième enfant devrait voir le jour en février 1757. Joseph exerce la fonction de garde et de chasseur au service des religieux de Contamine.
Le 2 octobre 1756, il se rend à Genève pour faire réparer un fusil. Les Barnabites envoient également dans cette ville, son cousin Etienne Dupraz, payant six sols pour son transport.
A Genève, ils se séparent après avoir convenu que Joseph donnerait le signal du départ en tirant un coup de fusil en l'air. En effet, vers trois heures et demi de l'après-midi, une détonation retentit vers la Terrassière, derrière la porte de Rive, puis une seconde lorsqu'il rejoint son cousin accompagné de François Dusauge, employé de la Gabelle de Savoie à Chesne, et de Joseph Decroux, de Contamine.
Cheminant devant eux, un couple se retourne vivement et une querelle s'ensuit. L'homme dit à Joseph Montréal
"tu me prends pour un camelotier", et aussitôt lui assène un coup de poing qui le fait trébucher. Le chasseur se relève prestement en proférant
"faut-il que tu sois coquin pour me tomber ainsi dessus alors que je ne t'ai rien fait…". Dusauge s'avance pour les séparer, mais à cet instant, l'homme tire un couteau – qui a un grand manche et une lame courte et large – et frappe à plusieurs reprises l'un comme l'autre. Montréal tombe derechef en ayant le temps de prononcer avant de mourir
"je voudrais bien connaître ton nom, toi qui m'assassines". On tente de secourir Joseph et Dusauge, en vain, car le meurtrier, son arme à la main, menace tous les spectateurs, puis s'en va vers la ville en marchant à petits pas, avec une femme qui paraissait enceinte et lui disait "sauves toi…".
L'employé des Gabelles, tombé en syncope est transporté chez le docteur Fontaine à Grange-Canal, et le cadavre du malheureux Contaminois, à l'Hôpital Général de Genève.
Plusieurs témoins de ce meurtre déposent les jours suivants :
Julien Dumont, domestique du marquis d'Argenteuil attendant un ami près de là, près de Belair, quand son attention fut attirée par une bagarre. Il donne le signalement du criminel
"qui pouvait avoir cinq pieds et quatre à cinq pouces de haut (1 m.70 à 1m. 75) poils entre bruns et noirs, cheveux un peu crêpés… n'a pas vu l'instrument qui a frappé, mais l'homme qui est mort est tombé deux fois et resté vidé mort à la seconde…"
Interrogé par les enquêteurs chez le médecin, le 6 octobre, Dusauge, originaire de Frangy, témoigne, relatant les faits décrits plus haut.
Jean-Marie Janin, caporal déclare avoir "trouvé un homme mort entouré d'une quinzaine de personnes. Un paysan prétendait que le mort était le chasseur des Pères de Contamine…".
Pierre Pinchon, charpentier de Rouen a vu "un homme qui baignait dans son sang et, lui relevant la tête, lui fait avaler par trois fois de la liqueur… son sang sortait de la blessure qu'il avait au ventre…".
Joseph Pingeon, d'Essert, vendeur de cribles, explique qu'un nommé François Dupont, de Naz lui a dit
" avoir tué deux hommes, le samedi, sur le chemin de Genève, en paraissant fâché parce que cela l'empêcherait de revenir travailler en ville. Ce Dupont est un homme fort dangereux qui me menaçait souvent parce vendant aussi des cribles, il prétendait que je lui portais tord. Le lundi, il s'est fait couper les cheveux et s'en est allé du côté du Valais laissant sa femme enceinte… Ce Dupont a deux frères célibataires qui sont de braves gens… A la Saint Martin dernière, à la foire de Gaillard, il avait déjà donné plusieurs coups de couteau au frère du cordier de Chesne…".
Etant parti travailler dans une "paroisse étrangère", Etienne Dupraz, charpentier, ne témoigne qu'à son retour, le 11 octobre 1756 :
"Le 2 octobre, revenant de Genève avec Joseph Decroux et François Dusauge, nous avons rencontré un nommé François Callevé, d'Essert, avec sa femme enceinte. Ledit Callevé, bien connu de lui déposant, lequel était allé souvent jouer du violon à Essert, et y aiant même travaillé de sa profession, cinq semaines. Joseph Montréal leur dit à Genève "je tirerai un coup de fusil et je vous rattraperai bien…" Ledit Callevé est un homme grand, visage long, blême, assez marqué de petite vérole, plutôt maigre, nez un peu plat, cheveux noirs…"
Le 28 février 1747, Etienne est appelé à faire une seconde déposition : "le meurtrier s'appelle Dupont du nom de son père et Calvé du nom de sa mère, de même que je porte le nom de mon père et Paris le nom de ma mère, de sorte que l'on dit plus volontiers "Chez les Paris, que chez les Dupraz".
Joseph Decroux "s'était retiré…". Apparemment, il n'a pas été questionné.
Le 3 octobre, l'Auditeur Trembley remet à Françoise Comte, veuve de Joseph Montréal, l'argent trouvé dans ses poches, soit cent trente florins enveloppés dans deux mouchoirs.
Voici le rapport des médecins légistes :
Nous soussignés, Maîtres en chirurgie, ayants été commis par Monsieur l'Auditeur Trembley, pour faire la visite du cadavre transporté à l'hôpital Général ; Déclarons sous serment , quensuitte de l'ordre ci-dessus, nous nous sommes transportés audit hôpital le 3ème octobre 1756 à 5 heures après midi, que nous y avons trouvé la cadavre d'un homme de 30 à 40 ans, auquel nous avons trouvé une playe transversale au corps, de passé quatre travers de doigts, situés à la partie supérieure latérale droite, moyenne interne de la région Epigastrique. Cette playe étroite remplie par des parties molles, boursouflées recouvertes de l'épiploon, comme à l'introduction du doigt, nous ne pouvions pas juger de son étendue, nous avons enlevé les tégumens et les muscles de cette partie, et d'abord nous avons trouvé la partie du cartilage qui unit les 4èmes et 5èmes fausses côtes, en contant de bas en haut, coupé de la longueur de trois travers de doigt, d'une coupe nette : examinant l'intérieur, nous avons trouvé le diaphragme à l'endroit qu'il tapisse l'intérieur des fausses costes, ouvert le grand lobe du foye, aussi ouvert dès sa partie convexe à la partie concave, un peu antérieures à la vésicule du fiel qui étoit dans son entier. Comme cette partie étoit pleine de sang, nous avons suivi avec le doigt le trajet de cette grande plqye, et nous l'avons porté jusque sur le tronc de la veine cave inférieure que nous avons senti ouverte et immanquable et la veine porte soit les vaisseaux sanguins qui y aboutissent le sont aussi, ou tous ou quelques unes, ce que nous n'avons pu nous démontrer à nous-mêmes par la quantité de sang et ce qui auroit demandé un long travail, ce que nous avons découvert suffisant pour nous assurer sur la cause immédiate de la mort du sujet.
Réfléchissant ensuite sur la nature de cette playe et la cause qui l'a produite, nous la croions faitte par un instrument tranchant et des deux costés, et même plat, comme une large bayonnette ou autre espèce, porté avec force, horizontalement, un peu en plongeant de devant en arrière, et à bras raccourci, et dont la pointe n'a eu d'autre borne que les vertèbres du dos.
Une semblable playe, faite avec tant de violence, ouvrant dans son trajet le foye, les vaisseaux qui y aboutissent, et enfin la veine cave inférieure, devoit nécessairement être suivi de la mort du sujet ; c'est aussi ce qui est arrivé et sur quoy nous fondons notre rapport, comme à la seule cause qui l'a produite.
A Genève, le 4ème 8bre (04 octobre) 1756.
Saburin et Cabanis
e Procureur Général Révilliod affirme, le 23 avril 1757, qu'il résulte de la procédure que ce meurtre et les coups donnés à François Dusauge sont la suite d'une querelle intervenue après quelques coups de fusils tirés par "gaillardise… quoique ce meurtre ne puisse pas être considéré comme un meurtre de guet à pens et de dessein prémédite, il n'en mérite pas moins une peine capitale moins rigoureuse à la vérité…(sic)"
La sentence fut prononcée en ces termes, le 14 mai 1757 :
Mes dits très Honorés Seigneurs, ayant vu le procès criminel, fait et poursuivi par devant Eux, à l'instance du Sieur Procureur Général, contre François Dupont, désigné sous le Nom de François Callevé, de Na, Paroisse d'Esserre, au-dessus de Mournex en Savoye.
Par lequel il leur est clairement apparu, tant par les informations prises contre Luy, que par sa fuite et contumace, qu'oubliant toute crainte de Dieu, il se seroit porté à Commettre un Meurtre sur le Territoire de la République, dans le grand chemin tendant au village de Chesne, ayant ensuite d'une querelle donné des Coups de couteau à deux particuliers nommés au Procès, dont un est mort peu d'heures après de ses blessures, cas et crime méritant griève punition corporelle.
Pour ces causes, Mes Dits Seigneurs, Siègeans sur le Tribunal de leurs Prédécesseurs, suivant leur ancienne coutume, ayant Dieu et ses Saintes Ecritures devant les yeux, et après avoir invoqué son saint Nom, pour rendre un jugement droit, en disant, Au Nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit, Amen.
Ils ont par cette, leur sentence définitive, qu'ils donnent icy par écrit, condamné, ainsi qu'ils condamnent Ledit François Dupont à être lié et garotté et ensuite mené à la Place de Plein Palais, pour là, y être pendu et étranglé à un Gibet dressé à cet effect, jusques à ce que Mort s'ensuive, et ainsi finit ses jours pour servir d'exemple à ceux qui semblable crime voudroient commettre.
Et comme ledit François Dupont n'a pu être appréhendé, Mes dits Seigneurs Ordonnent que cette, leur présente sentence soit exécutée en effigie, Mandant au Seigneur Lieutenant de la faire mettre à due exécution.
Le 29 janvier 1757, Françoise comte, veuve de Joseph Montréal, met au monde une fille prénommée Françoise, qui décédera le lendemain.
Quant à leur fils François Nicolas Montréal, il épousera Josephte Isidore Dubois.
On compte actuellement de nombreux descendants de ce couple, portant les patronymes Montréal, Vallier, Vigny, Fallion… ayant exercé les professions ou fonctions de cultivateurs, cafetiers, restaurateurs, hôteliers, cuisiniers, facteurs, négociants en charbon, en graines, , militaires, avocats, peintres en bâtiment, garde-champêtre, maire…
Deux arrières, arrières petits enfants laisseront leur vie sur les champs de bataille de la Grande Guerre.
Andrée Blanc
Sources : Archives Cantonales Genève: PC 1ère série 10500.
Registres paroissiaux de Contamine-sur-Arve