Comme les greniers, ces petites bâtisses étaient indissociables de l'environnement rural de nos aïeux. C'était une cabane en bois posée sur une grande fosse creusée dans le sol. La porte était garnie d'une petite lucarne carrée, en forme de losange, de cœur, de trèfle… ce qui permettait de voir sans être vu, et remplissait le rôle de ventilation !
A l'intérieur, des planches assemblées formaient un siège avec un gros trou ouvert directement sur la fosse. Généralement, on conservait la partie en bois ôtée de la découpe du trou, ce qui permettait de confectionner un couvercle, ancêtre de l'abattant d'aujourd'hui.
Le calendrier accroché à un clou était facultatif, tandis que le papier journal se révélait indispensable !
On ne peut pas dire que c'était toujours "un endroit où le roi va seul", car nous rencontrons parfois – rarement il est vrai - des sièges pour deux c'est-à-dire avec deux cavités, voire plus. "Chez Padon" à Faucigny, existent encore des cacatires en très bon état, pour cinq personnes, avec deux trous de chaque côté perpendiculairement à la porte et un petit avec un siège plus bas pour un enfant.
L'explication m'a été donnée par le propriétaire : pour les travaux de la ferme, le grand père embauchait des valets à l'année, et aussi une quinzaine de "mollardiers" (ouvriers agricoles saisonniers qu'on recrutait sur la Place du Molard à Genève).
On ne perdait pas de temps, et c'était nettement plus attrayant à quatre que seul !
Couverte en tôles ondulées, en tuiles ou en ardoises, cette construction rudimentaire ne nécessitait pas les services d'un artisan, les chefs de famille économes, ingénieux et travailleurs se chargeant eux-mêmes de ce genre d'édification.
Même par froid rigoureux, il fallait traverser un espace pour s'y rendre, car les cacatires étaient érigées dans le jardin ou à l'extrémité d'une cour. C'était un endroit où l'on ne s'attardait guère en hiver !
A Contamine, il en reste une dizaine, dont quelques unes sont utilisées occasionnellement, en complément aux toilettes intérieures, lorsque l'on effectue des travaux extérieurs.
Dans les chroniques des Pères Rédemptoristes, en 1876, on apprend l'édification de "lieux à côté de la petite maison des tailleurs. Cette construction est de toute nécessité à cause des personnes du sexe qui viennent voir les élèves du Juvénat et que la règle nous défend de laisser pénétrer dans la maison…"
Après une dispute ou simplement pour faire une plaisanterie, des farceurs changeaient de place ou transportaient en un endroit difficilement accessible un de ces édifices qui trônaient auprès de chaque maison, encore dans la première moitié du XX° siècle.
Dans le "Dauphiné Libéré" du 24 mars 1996, Marie Claude Rayssac, archiviste municipale d'Annecy (DOC 1604 – Archives Départementales de Haute Savoie) dans un long article intitulé "les latrines ou urinoirs ou la conquête de l'hygiène", écrit notamment : "…à la veille de la Révolution, les Annéciens disposent de trois latrines sensées couvrir les besoins d'environ 5000 habitants, pour la plupart dépourvus de latrines privées…"
Dès 1478, les édiles font installer les premières latrines publiques, de simples cabanes en planches construites en encorbellement au-dessus des canaux.
Si le nettoyage incombait à la ville, la vidange était vendue aux fermiers qui ne pouvaient se livrer à leur odorante besogne qu'à la nuit après 9 heures en hiver, et 11 heures en été.
Ne se souciant aucunement de l'odeur, lorsque le niveau de remplissage de la fosse le nécessitait, les cultivateurs épandaient le contenu sur les champs à labourer ou les jardins. C'était, paraît-il un excellent engrais !
Nos cacatires permettaient à nos ancêtres d'éviter la mésaventure narrée par Marco Polo, dans le "Livre des Merveilles du Monde", rédigé de 1290 à 1312.
La scène se passe dans une province russe où le froid est extrêmement rigoureux :
"…Les habitants de cette contrée se réunissent en grandes compagnies, hommes et femmes ensemble, surtout les nobles et les magnats, par trente, quarante et même cinquante ; ils passent toute la journée en beuverie…
… les dames qui y demeurent tout un jour ne s'éclipsent pas pour aller pisser : leurs servantes leur apportent de grosses éponges, les leur glissent dessous si furtivement que les autres gens ne s'en aperçoivent pas… ensuite la servante retire l'éponge toute pleine…
… une chose qui s'est passée là-bas. Un jour qu'un homme, avec sa femme quittait une de ces beuveries pour revenir chez lui le soir, sa femme s'accroupit pour pisser. Mais voilà qu'en raison du froid épouvantable, les poils de son entrecuisse gèlent et se prennent en bloc avec l'herbe. La pauvre femme ne pouvant plus bouger à cause de la douleur se met à crier au secours. Son mari, qui était très saoul, mais néanmoins, fort marri du malheur de sa femme, se met à quatre pattes et à souffler, espérant fondre cette glace de la chaleur de son haleine. Mais pendant qu'il soufflait, l'humidité de son haleine gèle aussi, et voilà que les poils de sa barbe se prennent à leur tour avec ceux de l'entrecuisse : et voilà que, lui non plus, ne peut plus bouger à cause de la douleur affreuse, et il faut qu'il demeure courbé en deux. Pour qu'ils pussent partir de là, il fallut que des gens passassent et cassassent la glace…"
Andrée Blanc